La reconnaissance et la protection des ONG en droit international

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Author:
Frits Hondius
Year:
2000

par Frits Hondius
Article publié dans Associations transnationales, Issue 1/2000, 2-4. Tous droits réservés.
This article was published in Transnational Associations, Issue 1/2000, 2-4. All rights reserved.

Introduction

L'importance toujours croissante des ONG est indéniable, comme en témoigne l'octroi du Prix Nobel à 'Médecins sans frontières'. Fin novembre 1999, d'innombrables ONG se sont manifestées à l'occasion du Sommet à Seattle de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), pour approuver ou désapprouver les buts de cette organisation, sur place ou sur Internet. Les ONG sont au rendez-vous dans des pays déchirés par des conflits humains, tels que le Kosovo, le Timor oriental ou la Tchétchénie, ou frappés par des catastrophes naturelles comme ce fut le cas en Turquie ou au Vénézuéla.

Et pourtant, le statut juridique des ONG reste une affaire précaire et incertaine. La quête des ONG d'une reconnaissance de leur statut en droit international remonte à près d'un siècle. C'est en 1910 qu'une première demande dans ce sens fut formulée à Bruxelles lors du congrès mondial des associations étrangères. Quarante-six ans et deux guerres mondiales plus tard, la communauté internationale a donné un début de réponse sous la forme de la Convention de La Haye de 1956 concernant la reconnaissance de la personnalité juridique des sociétés, associations, et fondations internationales. Toutefois, les gouvernements ont continué d'exprimer de sérieuses réserves quant à un instrument de droit international privé qui, en fin de compte, n'est jamais entré en vigueur.

Une nouvelle initiative fut lancé en 1959 par l'Union des associations internationales (UAI). Sa campagne, cette fois-ci en faveur des associations internationales et non seulement étrangères, s'adressa aux diverses organisations intergouvernementales. C'est l'une d'entre elles, l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (la FAO), laquelle se trouve entourée d'une nébuleuse d'ONG, qui a réagi positivement. Compte tenu du fait que grand nombre d'ONG et d'OIG ont leur siège en Europe, elle suggéra que la plus ancienne et plus large d'entre elles, le Conseil de l'Europe, reprenne les propositions de l'UAI. Et c'est ce qui fut décidé.

La liste initiale des revendications des ONG était très ambitieuse, comprenant par exemple des privilèges fiscaux. Pour sa part, le Conseil de l'Europe, conscient du dicton selon lequel "qui trop embrasse mal étreint » a réduit l'ordre du jour à un seul et unique point : la reconnaissance juridique internationale, l'alpha et l'oméga des ONG. Mais le problème fiscal n'a pas été abandonné. C'est une autre organisation, Interphil, et sa branche européenne , l'Europhil Trust, qui l'ont repris. Europhil est toujours à l'oeuvre. Elle prépare actuellement une table ronde sur la fiscalité des ONG, à tenir aux Barbades en août 2000.   

La Convention N° 124

Le 24 avril 1986, soit plus de 75 ans après le Résolution de Bruxelles, une Convention européenne sur la reconnaissance de la personnalité juridique des organisations non gouvernementales internationales a finalement vu le jour. Elle fut signée à Strasbourg lors d'une cérémonie en présence du secrétaire général de l'UAI de l'époque , le regretté Georges Patrick Speeckaert, l'un de ses pères spirituels. Elle a éte enregistrée comme Convention N° 124 dans la Série des Traités Européens. Elle est entrée en vigueur le 1er janvier 1991. La Convention n° 124 est un texte court et clair qui comporte onze articles . Selon la Convention, toute ONG internationale, créée conformément au droit d'un pays A, est automatiquement reconnue en tant que telle dans les pays B, C et D, parties à la Convention - elle est le premier et le seul instrument international juridique du monde en cette matière.

Neuf pays ont ratifié ou signé la Convention et on s'attend à ce que d'autres pays, notamment en Europe centrale et orientale, suivront le bon exemple. Parmi ces neuf pays, il s'en trouve quatre qui comptent une population importante d'ONG : le Royaume Uni, la Belgique, la France et la Suisse. Ensuite, deux pays en Europe Centrale, l'Autriche et la Slovénie, jouent le rôle particulier de trait d'union entre l' Est et de l'Ouest. Deux autres pays parties ont des relations spéciales avec des ONG étrangères : Il s'agit de la Grèce, où sont implantés de nombreux instituts archéologiques étrangers, et le Portugal, pays hôte du Centre Nord-Sud du Conseil de l'Europe pour l'interdépendance et la solidarité. Signalons enfin que Chypre prépare sa ratification après avoir signé en 1998, sans doute pour affirmer son ferme attachement à l'Europe. Curieusement, un pays, Malte, invoque la portée très large de la Convention pour ne pas vouloir la ratifier pour l'instant : c'est le mauvais souvenir du comportement des syndicats sous le régime de Dom Mintoff. Nous constatons donc que la Convention peut répondre à différents intérêts qui justifient sa ratification ou qui appellent des réserves. Mais disons aussi clairement que mis à part tous ces objectifs particuliers, c'est le principe même de la reconnaissance des ONG internationales en tant qu'acteurs de la société civile qui est en cause.

ONG pour la démocratie et pour les droits de l'homme

La Convention N° 124 a été préparée avant l'effondrement du communisme. Elle était axée sur la coopération entre ONG du monde occidental ainsi que sur les relations entre celles-ci et les pays du tiers monde. Personne n'avait osé rêver du rôle qu'allaient jouer un jour les ONG, telles Solidarno'c ou Neues Forum, dans le processus menant à la fin du communisme et au retour des pays de l'Europe centrale et orientale à la démocratie, aux droits de l'homme et à l'Etat de droit.

Même après la chute du mur de Berlin, les ONG d'Europe centrale et orientale sont restées à la pointe du mouvement, d'une part pour combler le vide laissé par le recul de l'Etat et, d'autre part, en tant que partenaires indépendants des gouvernements et des organisations intergouvernementales. Le Conseil de l'Europe a developpé un programme important d'assistance et de coopération avec l'Europe centrale et orientale afin de mettre en valeur un nouveau cadre politique et juridique pour les ONG. A côté de diverses programmes bilatéraux dans tous les pays de la région ' soulignons que le Conseil de l'Europe compte parmi ses membres la presque totalité de ces pays, allant de la Lituanie à la Géorgie et de l'Albanie à la Russie - le Conseil organise des programmes multilatéraux à Strasbourg, par exemple « Associations et fondations » (novembre 1996) et « Statut juridique des ONG et leur rôle dans une démocratie pluraliste » (mars 1998).

Répondant à un v'u formulé par les ONG lors de ces réunions, le Conseil est actuellement en train d'élaborer une Charte pour le développement d'un cadre juridique des ONG en Europe. Il s'agit non seulement des ONG internationales , mais aussi de celles qui se situent aux niveaux national et local. N'oublions pas que le succès des ONG internationales dépend dans une large mesure de la solidité de leur assise nationale. Ces projets sont mis en oeuvre par le Conseil en collaboration avec d'autres organisations internationales, telles que la Commission européenne, l'OSCE, l'OCDE, le processus de Royaumont, etc.

Reconnaissance

La reonnaissance de son statut juridique est une question primordiale pour toute ONG internationale. Nombre d'ONG oeuvrent en coopération étroite avec les instances intergouvernementales : les Nations unies à New York et à Genève, l'Unesco à Paris, l'OMS à Genève, le Conseil de l'Europe à Strasbourg, la Commission européenne à Bruxelles. Les garanties fiscales, financières et sécuritaires, voire les privilèges et immunités dont sont dotées les OIG aiguisent l'appétit des ONG. 'Pourquoi eux et pas nous '' La question de savoir si une organisation internationale est OIG ou ONG, c'est-à-dire publique ou privée, dépend d'un choix fondamental mais qui se réduit souvent, en pratique, à des questions de commodité. La Commission internationale de l''Etat Civil, OIG dont l''auteur du présent article a été secrétaire général adjoint pendant six ans, a commencé son existence comme simple amicale, donc ONG. Et citons le cas du Mouvement européen, ONG dans le sens le plus noble du terme, qui a été à l'origine du Conseil de l'Europe et de l'Union européenne.

Il n'existe pas de régime juridique purement international pour les ONG. S'il est vrai que certains pays, comme la Belgique, offrent un statut particulier dans leur droit interne aux ONG étrangères ou internationales, ceci n'empêche pas que ces ONG soient et restent belges.

Il reste parfaitement loisible à une ONG de n'avoir aucune attache avec un pays déterminé. Tel fut le cas pendant 50 ans du Bureau international du scoutisme. Celui-ci n'avait pas de nationalité et était suspendu pour ainsi dire dans l'air. Mais arrive tôt ou tard le moment où l' ONG internationale se voit simplement forcé par les circonstances d'acquérir un statut quelque part: elle emploie du personnel, loue un bureau, ouvre un compte bancaire. Tout cela n'est possible que si elle existe juridiquement comme sujet de droit d'un pays donné.

Une fois acquis ce statut, l'ONG souhaite voir son statut en pays A reconnu par les pays B, C et D. Ceci est possible par la conclusion de traités bilatéraux A>B, A>C, B>C, etc.

Toutefois il est beaucoup plus pratique d'arranger l'affaire par un traité multilatéral. Non seulement la formule mathématique démontre que lorsque 10 pays ont le choix entre traités bilatéraux ou un traité multilatéral, leur choix va entre 45 traités ou un seul. Mais en outre le traité multilatéral offre le grand avantage d'un texte unique, d'un seul contenu et de la présence d'une organisation qui fait le travail de rédaction et qui assure le suivi.

Pour toute ONG internationale, le reconnaissance signifie pour elle la capacité de se livrer à des activités dans différents pays sans être inquiétée par des formalités supplémentaires imposées par chacun de ces pays.

Certains Etats qui ne sont pas pour l'instant parties à la Convention N° 124 ont argumenté que cela n'est pas nécessaire : notre droit interne n'est-il pas en harmonie complète avec la Convention N° 124, nos tribunaux et administrations ne reconnaissent-ils pas les ONG étrangères sans distinction de leur forme juridique ' Ces arguments manquent le point essentiel. Même si le droit interne d'un pays n'admet pas la torture, ceci n'empêche pas ledit pays d'adhérer à une convention internationale contre la torture. Tout au contraire, aucun pays ne peut devenir partie à un traité international aussi longtemps que son droit interne n'est pas conforme. Il y a encore plus : d'abord le respect du statut d'ONG étrangère garanti par le droit du pays A ne signifie nullement l'inverse, que le statut de ses propres ONG soit reconnu dans ces autres pays. Et surtout, il y a un océan de différence entre l'octroi d'avanta ges particuliers aux ONG internationales par le droit interne et l'engagement solennel pris par un Etat devant la communauté mondiale de reconnaître l'identité des ONG internationales. Ceci ne peut se faire autrement que par une convention internationale.

Les ONG ont le droit d'être protégées

Les libertés en matière d' ONG qui sont garanties par les articles 9, 10 et 11 de la Convention européenne des Droits de l'homme (liberté de conscience, d'expression et d'association) sont autant de droits fondamentaux que les Etats sont tenus à respecter et à protéger. En contrepartie, de nombreuses ONG apportent leur aide au maintien du système international de protection des droits de l'homme. Le Tribunal pénal international, dont le statut a été adopté en 1998 à Rome par les gouvernements, n'aurait jamais vu le jour, au moins dans cette forme, sans le soutien et le militantisme des ONG.

Les ONG ont le droit d'être reconnues et d'être protégées. L'étude internationale concernant les problèmes de sécurité des ONG menée en 1998 par le professeur Mario Bettati (Université de Paris) et son équipe de chercheurs sous l'égide de l'UAI a résulté en un catalogue sinistre d'agressions dont sont victimes les ONG et leurs personnels, allant de vols et confiscations jusqu'à des actes de violence et d'assassinats. Il n'est guère surprenant que plusieurs des organisations interviewées aient indiqué qu'elles s'attendaient au renforcement de leur protection par les gouvernements. Nous sommes d'avis que certains actes de violence contre les ONG qui ont été répertoriés par le rapport Bettati tombent dans la définition de crimes contre l'Humanité définis par l'Article 7 (1) h du Statut de Rome du Tribunal pénal international.

Dans cette optique, l'adhésion à la Convention N° 124 est une démarche qui s'impose à tous les Etats avec une nécessité d'autant plus pressante.

Janvier 2000

  • L'auteur est ancien directeur adjoint des Droits de l'homme et des affaires juridiques du Conseil de l'Europe et ancien secrétaire général adjoint de la Commission internationale de l'Etat Civil. En 1990 il a assisté en tant que dépositaire à la cérémonie du dépôt de la ratification belge de la Convention N° 124, acte par lequel cette Convention est entrée en vigueur. Ancien président d'Interphil, M. Hondius est à présent membre du Conseil de l'UAI et Chief Trustee de l'Euophil Trust.